Et si on rémunérait les femmes au foyer ?
Dans le cadre du projet « Pour un marché du travail qui garantit les principes d’égalité entre les deux sexes », la Ligue des électrices tunisiennes, en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll, a organisé un webinaire sur le thème « L’inégalité salariale entre les deux sexes et le travail de soins ».
Organisée en présence de plusieurs acteurs de la société civile et experte de la Ligue des électrices tunisiennes, cette session de formation a permis de mettre en lumière les conditions de travail précaires auxquelles font face les femmes en Tunisie lors de l’accomplissement d’un travail de soins aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur informel.
Le temps consacré par la femme au travail domestique est 5 fois plus élevé que celui de l’homme
Lors de son intervention, l’experte Afef Griri a fait savoir que le temps passé par les femmes sur les soins non rémunérés est cinq fois plus élevé que celui des hommes (17.2 heures par semaine contre 3.2).
Elle a ajouté que les femmes consacrent en moyenne trois heures par semaine pour assurer des soins à des personnes malades ou des personnes âgées dépendantes alors que les hommes ne consacrent que 20 minutes par semaine pour accomplir cette même tâche.
Il en va de même pour l’accomplissement des tâches ménagères où, selon les résultats d’une étude récente présentés par l’experte, les femmes passent en moyenne 5 heures 16 minutes dans l’accomplissement de ces tâches alors que cette moyenne ne dépasse pas les 29 minutes pour les hommes.
Le travail domestique réduit la présence de la femme sur le marché du travail
Pour Afef Griri, la responsabilité de ce travail, assumée principalement par les femmes, réduit leur présence sur le marché du travail et accroît celle des hommes, ce qui leur permet une plus grande représentativité dans la sphère salariale : les femmes consacrent 19% de leur temps au travail rémunéré alors que ce temps est beaucoup plus élevé chez les hommes (23%).
L’homme marié jouit, à son tour, d’une moyenne de temps de travail rémunéré 6 fois plus élevée que la femme, d’où la nécessité de trouver des alternatives à même de combler ces écarts d’inégalité entre les deux sexes.
Dans ce contexte, l’experte a cité les données du rapport de Davos élaboré en 2015 indiquant que la Tunisie occupe la 127e place sur 145 dans le classement relatif à l’engagement des Etats en matière d’égalité entre les deux sexes.
Pour Afef Griri, ces chiffres et ce classement sont en deçà de ce que l’on pourrait attendre de la Tunisie en la matière et mettent en relief une inégalité flagrante entre les deux sexes.
La rémunération du travail de soins exercé par les femmes permettrait une contribution au PIB à hauteur de 64%
En ce qui concerne le travail de soins non rémunéré – ou travail domestique -, l’experte a indiqué que, selon une étude élaborée en 2006 par l’Institut national de la statistique (INS), la rémunération du travail de soins exercé par les femmes permettrait une contribution au PIB à hauteur de 64%.
Elle a ajouté que le secteur des soins rémunérés compte 65% d’emplois occupés par les femmes dans le secteur public (48% dans l’éducation et 17% dans les soins de santé) contre 13% des emplois féminins dans le secteur privé.
Ainsi, le secteur des soins de santé offre une opportunité réelle pour l’intégration des femmes sur le marché du travail, du fait de la demande potentielle et de la croissance de ce secteur.
De plus, la faible représentation du secteur de la santé dans la sphère privée révèle que des opportunités sont à saisir pour offrir une prestation de service de qualité.
Selon elle, l’augmentation de l’offre d’emploi dans ce secteur et dans la sphère privée permettrait de réduire le taux de chômage parmi les jeunes diplômés, notamment chez les femmes.
En termes de rémunération, aussi bien dans le secteur privé informel que dans le secteur privé formel, les femmes gagnent, en moyenne, moins que les hommes.
Selon l’enquête micro-entreprises de 2012, dans le secteur informel, les femmes sont faiblement rémunérées par rapport au SMIG et l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est estimé à -35,5%.
Pour le secteur privé formel, les femmes gagnent en moyenne 25,4% de moins que les hommes.
L’experte Afef Griri a indiqué que ces faits suscitent un intérêt particulier de la part des décideurs politiques quant à la valeur réelle du travail domestique. Elle a estimé que la valorisation des tâches ménagères permettrait aux femmes de prétendre à de meilleures rémunérations ou, tout du moins, à une reconnaissance sociale effective de leur implication professionnelle.
Elle rappelle, dans ce contexte, que ces services représentent, dans les pays développés, des produits à part entière qui peuvent être vendus et achetés sur le marché, compte tenu de leur rôle crucial dans le rétablissement de l’équilibre familial. Elle appelle, à cet effet, les autorités compétentes à fournir les efforts nécessaires afin de réduire l’inégalité entre les deux sexes et à tirer profit de la contribution de la femme à l’accroissement du PIB.
De son côté, la syndicaliste Aida Ben Youssef a noté que les femmes travaillant dans le secteur de la prise en charge des personnes âgées ou des enfants sont les plus concernées par la précarité compte tenu de la nature des tâches qui leur sont confiées. Elle a ajouté que ce travail est sous-rémunéré aussi bien dans le secteur public que privé tout en soulignant un écart de salaires important entre les deux sexes.
Dans cette continuité, Wassila Ayari, attachée à l’ambassade de Tunisie à Paris chargée du dossier de l’emploi, a appelé à la mise en place d’une approche sectorielle portant sur la rémunération de la femme et son accès aux postes de prise de décision. Elle a également appelé à la baisse des prélèvements à la source en faveur de la femme afin de permettre à cette dernière de combler relativement le manque à gagner sur le travail des soins non rémunérés. De plus, elle a souligné l’importance de l’intégration des droits de la femme dans les conventions, dont particulièrement celle relative à l’ouvrière agricole.
Appel à l’intensification des campagnes de sensibilisation au partage équitable des tâches ménagères
Par ailleurs, de nombreuses participantes ont souligné la perception de l’homme tunisien sur ce sujet, appelant, à cet effet, à l’intensification des campagnes de sensibilisation de partage équitable des tâches ménagères qui constituent généralement une source de conflit entre les conjoints.
De son côté, Mahassen Segni, directrice des programmes de la démocratie au sein de la fondation Heinrich Böll, a souligné la nécessité de mettre fin aux préjugés et à la stigmatisation de la femme tunisienne qui ne serait vouée qu’à un secteur d’activité pas toujours valorisant.
En revanche, elle appelle à combler les écarts entre les congés de maternité et de paternité et souligne la nécessité de modifier la mention « Néant » figurant sur les cartes d’identité nationale attribuées aux femmes au foyer, rappelant que ces dernières accomplissent, jour et nuit, un travail domestique acharné.
Dans ce contexte, Mahassen Segni a souligné la nécessité de mettre en place une politique globale du travail de soins en tant que partie intégrante de l’économie alternative, tout en appelant à la valorisation de la contribution de la femme à l’essor économique à travers, notamment, l’adoption d’un discours social mettant en relief l’importance du travail domestique.
Pour sa part, Norchen Senani, représentante de la société civile, a mis en garde contre l’exploitation des femmes occupant des emplois sans contrat et loin de tout contrôle de la part des inspections du travail.