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Trente ans de partenariat Tunisie-UE : bilan, enjeux et perspectives 

Trente ans après la signature de l’Accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne, l’heure est au bilan et à la réflexion sur l’avenir de ce partenariat stratégique. Lors de son intervention au Forum International de Réalités, M. Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie, a dressé un état des lieux nuancé de la coopération tuniso-européenne, tout en esquissant les perspectives et les leviers à activer pour relancer une dynamique vertueuse.

M. Afif Chelbi

Il a rappelé qu’en 1995, de nombreux experts prédisaient une perte massive d’emplois et un effondrement du tissu industriel tunisien face à l’ouverture du marché européen. Or, trente ans plus tard, le bilan contredit ces prévisions alarmistes : les exportations tunisiennes vers l’UE ont été multipliées par plus de cinq, passant de 2,4 milliards d’euros en 1995 à 13,8 milliards en 2024. Ce résultat est le fruit d’une stratégie industrielle réfléchie, combinant des politiques horizontales (libéralisation progressive, mesures de sauvegarde, programme de mise à niveau) et sectorielles (plans pour le textile, l’automobile, création de technopoles et centres techniques). Les entreprises tunisiennes ont non seulement résisté, mais ont profondément transformé leurs outils de production et leurs méthodes de gestion, avec un taux d’encadrement passé de 9 % à près de 20 % et une adoption massive des technologies de gestion et de production.

Cependant, le succès aurait pu être plus éclatant si l’appui de l’État tunisien et de l’UE avait été plus conséquent, notamment en matière d’accompagnement technologique. La part des exportations à contenu technologique, bien qu’en hausse (de 12 % à 25 %), reste loin de l’objectif initial de 50 %. L’apport financier de l’UE, bien que décisif pour garantir l’accès au marché, est resté modeste : la mise à niveau des entreprises a été financée à plus de 80 % par la Tunisie elle-même, générant des investissements importants mais en baisse depuis quatorze ans, a déclaré M. Afif Chelbi.

L’analyse distingue clairement deux périodes : entre 1995 et 2010, la Tunisie a connu une croissance rapide de ses exportations vers l’UE, qui ont quadruplé. En revanche, de 2011 à 2024, cette dynamique s’est essoufflée, avec une quasi-stagnation des exportations, alors que des pays concurrents comme le Maroc ont vu les leurs tripler sur la même période. Cette cassure s’est traduite par un processus de désindustrialisation : perte de 20 % du tissu industriel, chute de moitié des investissements publics et privés, et recul de la compétitivité internationale (perte de 55 places dans le classement de Davos).

Pour saisir ces opportunités, la Tunisie doit accélérer la transformation technologique de son industrie, en portant la part des exportations à contenu technologique à 40 %. Les bouleversements liés à l’intelligence artificielle, à l’industrie 4.0 et à la mobilité électrique pourraient permettre à la Tunisie de réaliser de véritables raccourcis de développement, à condition de mettre en place les infrastructures numériques et les incitations nécessaires.

M. Chelbi propose ainsi que la Tunisie se fixe un objectif ambitieux dans son partenariat avec l’UE, en visant un statut de quasi-adhésion, « tout sauf les institutions ». Il s’agit de repositionner le pays sur l’échiquier international du commerce et de l’investissement, en s’appuyant sur la richesse de ses entrepreneurs et la compétence de sa main-d’œuvre, qui connaissent parfaitement le marché européen.

L’urgence est d’une mobilisation nationale pour redonner confiance au tissu entrepreneurial tunisien, principal atout du pays. Les enjeux sont majeurs : si seulement 10 % des exportations chinoises vers l’UE étaient relocalisées, cela représenterait 75 milliards d’euros par an, soit le double des exportations industrielles actuelles du Maghreb vers l’UE (hors énergie). Mais la Tunisie doit agir vite et fort, car la concurrence internationale est intense et les opportunités ne dureront pas indéfiniment. Le partenariat tuniso-européen, à l’aube de son quatrième décennie, doit ainsi se réinventer pour répondre aux défis et ambitions partagés des deux rives de la Méditerranée.

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