Interview spéciale avec M. Josef Renggli, l’ambassadeur de Suisse en Tunisie
En marge d’un dossier spécial afin d’évoquer le dynamisme des relations économiques entre la Suisse et la Tunisie, M. Josef Renggli, l’ambassadeur de Suisse en Tunisie a expliqué dans une interview exclusive à L’Echo Tunisien, que les liens économiques entre la Suisse et la Tunisie sont globalement équilibrées, notamment sur le plan économique et commercial avec une balance commerciale très légèrement en faveur de la Tunisie.
Quel est votre avis général sur l’état des relations entre la Tunisie et la Suisse ?
C’est une chance et un plaisir pour moi d’être ambassadeur en Tunisie, un pays avec lequel la Suisse entretient de très bonnes relations.
Ces relations trouvent leurs sources au XIXe siècle et se sont diversifiées à travers le temps pour couvrir aujourd’hui les domaines politique, économique, culturel, scientifique et académique.
Un essor qui a été marqué par l’ouverture de l’Ambassade de Suisse à Tunis en 1961 et par le lancement d’un vaste programme de coopération depuis 2011. Mais même si ces relations sont déjà très bonnes, en tant qu’Ambassadeur je me suis engagé à approfondir encore la confiance, la compréhension mutuelle et l’amitié entre les gouvernements et les peuples de nos deux pays !
Comment la Suisse perçoit-elle la Tunisie?
La Suisse a un grand respect de la Tunisie et de son peuple. Pour la Suisse, la Tunisie est d’une certaine manière un pays voisin, très proche géographiquement et avec lequel les liens humains sont très nombreux. Plus de 1’500 Suisses vivent en Tunisie et plus de 7’000 Tunisiens vivent en Suisse. De nombreux binationaux ont fait succès dans un pays ou dans l’autre. Dans le contexte global actuel caractérisé par de nombreux défis, la Suisse se place aussi résolument aux côtés de la Tunisie.
C’est ainsi que la Suisse a déployé de nombreux programmes pour soutenir certains besoins immédiats du pays, notamment durant la crise COVID, ou aujourd’hui en matière de développement économique et création d’emplois.
Comment évaluez-vous la coopération entre la Suisse et la Tunisie dans son ensemble ?
Elle se présente bien et nous sommes satisfaits de nos relations, qui sont globalement équilibrées, notamment sur le plan économique et commercial avec une balance commerciale très légèrement en faveur de la Tunisie.
Nous sommes également heureux de la bonne mise en œuvre du programme de coopération suisse en Tunisie, qui prend en compte les priorités des autorités suisses et tunisiennes. Dans le cadre de ce programme, la Suisse soutient de nombreux projets en Tunisie dans des domaines tels que le développement local, l’appui aux réformes macroéconomiques, la création d’emplois, la formation professionnelle, l’égalité des chances entre femmes et hommes, ou encore la gouvernance de la migration. Ces programmes ont un véritable impact sur le terrain, et j’ai toujours plaisir et intérêt à rencontrer des bénéficiaires.
Quels sont les moyens déployés pour renforcer la coopération bilatérale, notamment sur le plan économique ?
La Suisse et la Tunisie ont mis en place ensemble un cadre juridique favorable au développement des échanges économiques, par exemple avec l’adoption de traités dans le domaine du commerce, de l’investissement, des transports, et de la sécurité sociale. Pour renforcer le partenariat économique entre nos deux pays, nous bénéficions également du précieux soutien de la Chambre de Commerce et d’Industrie Tuniso-Suisse (CCITNCH), qui rassemble les entreprises actives dans nations. Mais je vois en nos deux effet de nouvelles opportunités de enforcer notre partenariat économique, par exemple dans le domaine du tourisme, où il nous faudrait augmenter les liaisons aériennes entre nos deux pays pour drainer plus de touristes suisses en Tunisie.
A cet égard, j’espère bientôt obtenir le feu vert des autorités tunisiennes pour moderniser l’accord de transport aérien existant et permettre à plus de compagnies aériennes suisses de desservir la Tunisie de manière régulière. Dans le domaine commercial, je vois également diverses possibles initiatives, par exemple en amendant nos accords commerciaux dans le domaine agricole pour permettre à plus d’huile d’olive tunisienne d’être exportée en Suisse en contrepartie d’un plus grand quota d’importation de fromage suisse en Tunisie. Cela me semble gagnant-gagnant !
Quelles initiatives récentes ont été prises par les autorités suisses dans le cadre de la coopération avec la Tunisie ?
Le programme de coopération suisse en Tunisie compte plus de 60 projets et chacun de ces projets lance tant d’initiatives qu’il m’est difficile d’en choisir une plutôt qu’une autre. Trois récentes initiatives me viennent cependant à l’esprit pour leur impact particulièrement intéressant. Dans le cadre des projets de développement local IPDLI et PACT, 17 villages ont pu être désenclavés grâce à la construction de nouvelles infrastructures et les conditions de vie des citoyens et citoyennes ont pu être très concrètement améliorées dans 24 communes grâce à des initiatives priorisées par les citoyennes et les citoyens eux-mêmes telles que la construction de places de jeux et d’accès sécurisés aux écoles.
Dans le cadre du projet de formation professionnelle Takween, des programmes de formation professionnelle sur mesure dans des domaines tels que l’agriculture, la mécanique automobile et l’électricité sont offerts cette année à plus de 2’000 jeunes afin d’assurer leur insertion sur le marché de l’emploi tunisien. Enfin, le projet tuniso-suisse de propriété intellectuelle (TUSIP) vient de lancer un pilote pour protéger pour la première fois un produit artisanal tunisien, à savoir la poterie de Sejnane. Ce sont trois exemples de récentes initiatives qui me réjouissent particulièrement en raison de leur impact très concret.
Sur quels secteurs prioritaires devrait-on concentrer nos efforts pour stimuler la coopération ?
Nous travaillons sur deux créneaux dans lesquels nous souhaitons renforcer notre engagement : l’environnement et la culture. Pour ce qui est de l’environnement, la Tunisie est particulièrement exposée au changement climatique, et la Suisse a des approches, des solutions technologiques et des sources de financement qui pourraient être utiles et faire une différence en Tunisie.
Nous venons de conclure un accord bilatéral entre nos deux pays qui permettra au secteur privé suisse de réaliser des projets de réduction d’émission de gaz atmosphériques en Tunisie. Nous songeons également à mieux prendre en compte l’importance de lutter contre et s’adapter au changement climatique dans
notre programme de coopération suisse en Tunisie. Pour ce qui est de la culture et des industries créatives, la Tunisie me frappe par sa créativité débordante et ses nombreux talents, qui méritent d’être mieux connus à l’étranger. Au travers de notre programme de coopération nous souhaitons renforcer notre appui au secteur culturel et créatif tunisien, que nous voyons comme un important moteur de développement et de rayonnement pour le pays.
Quel est le processus pour l’obtention de visas d’entrée en Suisse pour les ressortissants tunisiens ?
La Suisse fait partie de la zone Schengen et applique les mêmes règles que les autres États en faisant partie. Les Tunisiens et les Tunisiennes souhaitant se rendre en Suisse peuvent déposer leur demande en prenant rendez-vous en ligne auprès de notre agent VFS Global. A cet égard, je me permets de mettre en garde contre les pratiques constatées de sociétés qui garantissent l’obtention d’un visa pour la Suisse et plus spécialement pour des cas d’arnaques aux faux contrats de travail.
Il s’agit d’arnaques et pour se protéger il est essentiel que les demandeurs de visas s’adressent uniquement à notre agent VFS Global.
Quelles sont les possibilités d’emploi et de formation en Suisse pour les jeunes Tunisiens ?
Il existe de nombreuses opportunités de formation en Suisse, où les hautes écoles sont généralement publiques et financièrement peu coûteuses en comparaison internationale.
Pour les jeunes tunisiennes et tunisiens qui sont acceptés dans ces hautes écoles et qui ont la capacité financière pour couvrir les coûts de leur séjour en Suisse,
l’obtention d’un visa n’est pas compliquée. Il existe également des bourses d’excellence du gouvernement suisse pour les doctorants, grâce auxquelles plusieurs doctorants tunisiens partent chaque année en Suisse pour poursuivre leur recherche. Au niveau de l’emploi, la Suisse a conclu en 2012 un accord avec la Tunisie qui permet chaque année à 150 jeunes ayant accompli leur formation en Tunisie de venir travailler entre 6 et 18 mois en Suisse pour y gagner en expérience. Ce programme cherche à encourager la migration circulaire et à permettre aux jeunes professionnels de Tunisie d’acquérir une expérience en Suisse qui leur servira plus tard en Tunisie.
Comment décririez-vous le principe de neutralité suisse, un élément fondamental de sa politique étrangère ?
La Suisse, comme la Tunisie, est un pays profondément attaché à la paix. La neutralité permanente, reconnue par la communauté internationale, est un principe
central de la politique étrangère de la Suisse. Elle garantit l’indépendance du pays et l’inviolabilité de son territoire. En vertu du droit de la neutralité, la
Suisse est dans l’obligation de ne pas participer à une guerre opposant d’autres États, et de ne pas avantager ou désavantager militairement un belligérant. En revanche, cela ne veut pas dire que la Suisse est indifférente aux violations du droit international dans le cadre d’un conflit entre d’autres États. Neutralité ne signifie pas indifférence.
Quels sont les principaux axes de la politique étrangère suisse ?
Au début de chaque nouvelle législature, le gouvernement suisse présente une stratégie de politique
extérieure. Celle-ci expose les grands axes et priorités de la politique étrangère pour les quatre
prochaines années. Pour la législature à venir,
les priorités sont:
1) Contribuer à la prospérité et à la stabilité de l’Europe, notamment en stabilisant les relations avec l’UE et en renforçant les partenariats avec les États voisins de la Suisse.
2) Continuer à entretenir des relations constructives avec les autres régions du monde dans un contexte de transition vers un monde moins occidental.
3) Promouvoir activement un multilatéralisme efficace et ciblé.
4) Adapter les instruments traditionnels de promotion de la paix et de la sécurité aux nouvelles conditions internationales.
5) Contribuer au développement durable ainsi qu’à la lutte mondiale contre la pauvreté.
6) S’engager pour la sauvegarde de l’environnement.
7) Promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance.