Economie

Loi de finance 2026 : le remède monétaire pire que le mal budgétaire ?

Alors que le gouvernement présente un budget ambitieux axé sur la relance et la justice sociale, l’examen des chiffres dévoile une réalité plus sombre, un État en situation de dépendance financière, qui puise sans complexe dans les réserves de la Banque centrale et creuse le déficit, au risque d’asphyxier l’économie réelle.

À première vue, le projet de loi de finances 2026 semble tenir toutes les promesses, hausse des salaires, soutien aux plus fragiles, création de fonds sociaux. Mais derrière ce discours volontariste se cache une tout autre réalité, celle d’un État qui, année après année, s’enfonce dans le cercle vicieux de l’endettement et du financement monétaire.

Un budget structurellement déficitaire


Les chiffres parlent d’eux-mêmes, 63,6 milliards de dinars de dépenses pour seulement 52,5 milliards de recettes. Un déficit de plus de 11 milliards, représentant près de 8 % du PIB. Pour le combler, l’État prévoit d’emprunter massivement,19 milliards sur le marché intérieur et près de 7 milliards à l’étranger.

Le résultat, près de la moitié du budget repose sur de la dette.

Ce déficit chronique n’est pas sans conséquence. Les banques tunisiennes, principales souscriptrices des bons du Trésor, voient une part croissante de leurs liquidités absorbée par le financement public, au détriment des crédits aux entreprises. Un phénomène d’éviction qui frappe de plein fouet les PME et compromet toute reprise durable de l’investissement.

La Banque centrale, nouveau guichet automatique de l’État


L’article 12 du projet de loi est, à lui seul, un symbole. Pour la troisième année consécutive, la Banque centrale de Tunisie (BCT) est appelée à financer directement le Trésor public. Après 7 milliards de dinars injectés en 2024 et 2025, le gouvernement sollicite cette fois 11 milliards, prêtés sans intérêt sur quinze ans.

Une mesure présentée comme « exceptionnelle », mais qui s’est muée en habitude. Chaque dinar créé ex nihilo par la BCT alimente un peu plus l’inflation, érode la crédibilité de la politique monétaire et affaiblit le dinar. La planche à billets, désormais utilisée comme outil de financement structurel, fait peser un risque majeur sur la stabilité économique du pays.

Justice fiscale ou chasse aux capitaux ?


Le projet introduit une taxe sur la fortune, une première en Tunisie. Les patrimoines supérieurs à 3 millions de dinars seront taxés à des taux compris entre 0,5 % et 1 %. Une mesure socialement symbolique, mais techniquement risquée dans un contexte où la transparence patrimoniale reste limitée. Certains redoutent déjà un exil fiscal accru ou une dissimulation des avoirs.

Parallèlement, d’autres dispositions alourdissent la pression sur les entreprises : hausse des droits d’enregistrement, nouvelles taxes sectorielles pour les banques, les assurances et les télécoms. Autant de signaux qui inquiètent un secteur privé déjà fragilisé, et qui interroge sur la stratégie fiscale du gouvernement : élargir l’assiette ou taxer davantage ceux qui paient déjà ?

Un mécanisme de solidarité à haut risque


Parmi les nouveautés du texte, l’article 39 prévoit la déductibilité sans plafond des dons versés aux sociétés communautaires. L’objectif affiché est de renforcer la cohésion locale. Mais en l’absence de garde-fous, ce dispositif pourrait devenir une porte ouverte à l’optimisation fiscale. Une entreprise pourrait ainsi « donner » une partie de ses bénéfices à une structure affiliée, exonérée d’impôt, tout en conservant un certain contrôle sur ces fonds.

Des engagements sociaux… au détriment de la soutenabilité budgétaire


Le texte multiplie les promesses : revalorisation des salaires publics, soutien aux retraités, création de fonds dédiés au logement, à la santé ou au handicap. Des mesures socialement attendues, mais dont le financement reste flou et la cohérence d’ensemble, incertaine.

Sans réforme structurelle de la fonction publique ni relance significative de la croissance, ces engagements risquent de transformer la solidarité en fardeau budgétaire durable. Chaque nouveau fonds spécial complexifie un peu plus la gestion des finances publiques et réduit la lisibilité du budget.

La dette, épée de Damoclès de 2026


L’année 2026 s’annonce particulièrement périlleuse sur le front de la dette : plus de 15 milliards de dinars devront être remboursés, dont près de la moitié en devises étrangères. Avec un accès restreint aux marchés financiers internationaux, l’État n’a d’autre choix que de se tourner vers les ressources internes – y compris celles de la BCT. Un scénario qui menace à moyen terme de déstabiliser la monnaie nationale et de creuser encore le déficit de pouvoir d’achat.

Une loi de finances de survie, pas de relance

La loi de finances 2026 incarne le dilemme tunisien : comment répondre à l’urgence sociale sans aggraver la crise financière ? Si le texte se veut porteur d’équité, il repose sur des mécanismes périlleux :

Franchir la ligne rouge du financement monétaire .

Alourdir la pression fiscale sans réformer la dépense publique.

Multiplier les fonds spéciaux sans vision d’ensemble.

La Tunisie avait besoin d’une loi de finances de relance. Elle hérite d’une loi de finances de survie. Le plus grand défi sera désormais d’éviter que cette survie ne se transforme en dépendance économique et monétaire durable.

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