Ghar El Melh : entre héritage agricole, fragilité écologique et potentiel touristique (vidéo)
La terre qui défie la mer
Entre les murmures de la Méditerranée et les souffles chauds du Sahara, la Tunisie déploie une beauté impressionnante et diversifiée, véritable mosaïque où chaque paysage raconte une histoire millénaire. Ses côtes offrent des plages de sable fin aux eaux cristallines, bordées d’oliviers argentés, qui contrastent magnifiquement avec le charme bleu et blanc des villages perchés comme Sidi Bou Saïd.
Témoin emblématique de cette richesse, Ghar El Melh, compte parmi les plus anciennes cités côtières du nord de la Tunisie. Fondée en 1801 avant J.-C., elle allie avec harmonie une mémoire historique riche au charme de la mer et de la nature. Ses racines plongent dans l’ère phénicienne, lorsqu’elle constituait un port commercial actif sous le nom de Rusucmona. Au fil des siècles, la ville a préservé son rôle stratégique, particulièrement durant la période ottomane qui vit la construction de forts et de citadelles pour protéger le littoral, tels que le Borj Sidi Ali Mekki et le Borj Bab Tunis.
Aujourd’hui, Ghar El Melh continue de rayonner comme une destination touristique et écologique singulière, grâce à sa lagune riche en biodiversité et à ses plages sereines. Elle demeure le témoin vivant de la rencontre entre une histoire millénaire et une nature préservée, formant un tableau tunisien unique.
La culture en sol sableux à Ghar El Melh : un patrimoine et une source de revenus
Sur la côte nord de la Tunisie, précisément à Ghar El Melh, le sable déroule son manteau doré pour conter une histoire agricole hors du commun. Ici, la verdure ne germe pas dans une terre fertile, mais dans le sable que la mer a caressé pendant des siècles.
Ghar El Melh se distingue comme l’une des régions tunisiennes ayant préservé la tradition de l’agriculture sur sable, une méthode unique d’exploitation des terres côtières pour cultiver des denrées alimentaires. Les agriculteurs locaux utilisent des eaux souterraines partiellement salées et l’humidité marine pour nourrir les plantes, sans recourir à des systèmes d’irrigation complexes.
Dans un entretien avec L’Echo Tunisien, M. Ali Garsi, agriculteur spécialisé dans cette pratique, a souligné que ce patrimoine affronte aujourd’hui des défis environnementaux subtils, liés à l’équilibre hydrique entre la mer et la lagune. « La principale difficulté réside dans les perturbations des courants entre la lagune et la mer », a-t-il expliqué. « Lorsque la circulation de l’eau change ou que les passes naturelles s’obstruent, le sol est immédiatement affecté : la salinité augmente ou l’assèchement s’accentue, ce qui compromet les récoltes. »
Il a poursuivi : « L’implantation du port, inadaptée, a perturbé la dynamique des courants entre la mer et la lagune. Cette modification du trajet des eaux impacte directement le sol sableux et les moyens de subsistance des agriculteurs. »
Évoquant les bouleversements environnementaux consécutifs à la construction du port, il a ajouté : « L’eau ne circule plus comme auparavant, la salinité croît constamment et les plantes supportent moins bien ces nouvelles conditions. Nous ne contestons pas l’existence du port, mais nous exigeons des ajustements techniques et environnementaux garantissant la coexistence de la lagune et de l’agriculture. Ces deux éléments sont complémentaires, et non antagonistes. »
M. Garsi a également précisé que les agriculteurs constatent depuis des années une baisse de la fertilité des terres sableuses et une altération des courants, affectant tant les cultures que l’équilibre écologique local.

Les Gtaïa de Ghar El Melh : un patrimoine agricole unique au monde
Au cœur de Ghar El Melh, entre mer et lagune, s’étendent des terres uniques nommées «Gtaiaa ». C’est ici que se pratique l’agriculture sur sable, au sein d’un paysage exceptionnel mêlant végétation, sable et eau. Dans ce cadre, l’agriculture dépasse la simple activité économique ; elle incarne un mode de vie ancré dans l’histoire des lieux, préservant un équilibre délicat entre l’homme et la nature.
M. Mohamed Blankou, membre de l’association Tunisian Campers, a déclaré à L’Echo Tunisien : « La culture des « Gtaiaa » représente l’une des techniques d’agriculture sur sable les plus anciennes et les plus rares de Tunisie, voire du monde. Elle constitue un modèle unique à Ghar El Melh, où les agriculteurs exploitent les terres sableuses littorales pour produire diverses récoltes malgré des conditions naturelles exigeantes. »
« Cette technique s’appuie sur la situation géographique particulière de Ghar El Melh, encadrée par la mer et la lagune, qui confère au sol une humidité naturelle dispensant d’une irrigation directe. Les agriculteurs creusent de petites cuvettes dans le sable, localement appelées » Gtaiaa « , où ils cultivent des légumes tels que la pomme de terre, l’oignon, les haricots ou le piment. Ces dépressions captent l’humidité et stabilisent le sol face au vent, créant un écosystème agricole équilibré et durable. »

Les femmes de Ghar El Melh : pilier de l’agriculture et clé de la durabilité
Mme Zohra Nafef, présidente de la Fédération des Femmes Agricultrices de Ghar El Melh, a pour sa part décrit la condition des agriculteurs et des femmes œuvrant la culture en sol sableux, ainsi que les difficultés quotidiennes auxquelles ils font face. « Les agriculteurs en général, et les femmes en particulier, sont les piliers de la pérennité de la culture en sol sableux. Pourtant, la majorité d’entre eux travaillent dans des conditions précaires, sans soutien suffisant. Ici, les femmes ne redoutent ni le soleil ni le sable, mais elles craignent la dégradation de leurs terres. Nous revendiquons un appui concret pour les agricultrices : formation, micro financement et transport sécurisé, car l’avenir des » Gtaiaa » dépend de leur présence et de leur labeur quotidien. »
Ghar El Melh : le poumon vert qui étouffe sous le plastique
Entre mer et forêt, Ghar El Melh s’enorgueillit de sa beauté naturelle et de sa remarquable biodiversité. Néanmoins, ce site, classé parmi les réserves côtières majeures du nord tunisien, subit une menace grandissante : l’accumulation de déchets dans les massifs forestiers et le long des sentiers touristiques.
Lors d’une visite sur les lieux, on observe des résidus plastiques, sacs et bouteilles éparpillés entre les arbres, spectacle dissonant avec l’image de pureté associée à la région. Cette pollution affecte non seulement le paysage, mais aussi la flore et la faune sauvages, tout en dégradant la qualité des sols et des eaux souterraines.

M. Mourad El Jaziri, garde forestier et directeur du parc de la forêt de Ghar El Melh, a insisté sur la nécessité de programmes de nettoyage réguliers et de campagnes de sensibilisation ciblant visiteurs et campeurs, tout en renforçant les contrôles contre les activités nuisibles à l’équilibre forestier. «La forêt de Ghar El Melh est bien plus qu’un simple terrain de pique-nique : c’est un écosystème à part entière qui réclame une attention de chaque instant. Chaque bouteille en plastique abandonnée ici altère cette beauté », a-t-il affirmé.

Face à ce constat, des associations locales organisent des collectes de déchets en coordination avec la municipalité, œuvrant à restaurer ce poumon vert, espace de détente essentiel pour la région et ses habitants. Le défi majeur reste d’ancrer une culture environnementale responsable, faisant de la préservation forestière un impératif collectif et non une action ponctuelle.
Ghar El Melh : la mer promise… ou menacée ?
Entre l’azur de la mer et la transparence de la lagune, Ghar El Melh recèle un trésor écologique rare, qui en fait l’un des hauts lieux de la diversité marine tunisienne. Ses côtes allient forêt, lagune et mer, où faune et flore terrestres et marines s’épanouissent en symbiose.
M. Mohamed Blankou a souligné l’importance de cette richesse : « Le littoral de Ghar El Melh abrite plus de 89 espèces de poissons, ainsi que de nombreux crustacés et mollusques. Cette ressource marine exceptionnelle exige une préservation absolue. »
Malgré les pressions, Ghar El Melh reste une destination prisée pour la plongée et la pêche traditionnelle. «Son écosystème marin, d’une richesse exceptionnelle, abrite une biodiversité florissante et équilibrée. Les pêcheurs locaux, gardiens de traditions séculaires, en perpétuent les rythmes par une pêche raisonnée et respectueuse», a-t-il ajouté.
Les habitants pratiquent une pêche artisanale au moyen d’outils simples et hérités « Drina », filets, lignes, embarcations légères et « Lombarda » des méthodes respectueuses de l’environnement marin et garantes de la pérennité des ressources. Aux printemps et en automne, l’abondance ichthyologique en fait un lieu de prédilection pour les amateurs de pêche et de loisirs nautiques.
Ghar El Melh : l’authenticité retrouvée
Étirée tel un joyau sur la côte nord, Ghar El Melh offre un panorama où l’azur marin épouse le vert forestier, condensé de la splendeur naturelle tunisienne. Chaque été, la région devient une destination appréciée des familles et des jeunes, séduits par la propreté de ses plages, la limpidité de ses eaux et la variété de ses paysages.
M. Mohamed Blankou a exposé cette dimension touristique : « Ghar El Melh transcende la simple station balnéaire, c’est une immersion sensorielle où se conjuguent nature préservée, détente authentique et saveurs ancestrales. Une expérience touristique qui puise son essence dans l’hospitalité et les traditions vivantes. »
La plage « Coco Beach » compte parmi les attraits majeurs de la zone, alliant quiétude et aventure. Les restaurants de plage, disséminés le long du littoral, participent à l’identité des lieux en proposant une cuisine marine fraîche aux saveurs du terroir, synthèse des traditions halieutiques et du savoir-faire culinaire tunisien.
Par cette diversité, mer, forêt, gastronomie et accueil, Ghar El Melh consolide sa position de destination touristique durable, conciliant préservation environnementale et authenticité.
Un modèle de développement durable à pérenniser
Aujourd’hui, Ghar El Melh s’impose comme un modèle de développement durable associant agriculture traditionnelle et écotourisme, où tous les acteurs œuvrent à sauvegarder et valoriser l’héritage local.
M. Rami Mammeri, Délégué de Ghar El Melh, a précisé que l’objectif est d’ordonner le développement pour qu’il épouse parfaitement les spécificités locales, et non de l’entraver. «Entre sanctuaire écologique et espace de vie, Ghar El Melh doit inventer un modèle équilibré où protection rime avec qualité de vie.»
Côte Amalfitaine Italie et Ghar el Melh Tunisie


Bien que baignés par la même mer, Ghar El Melh et la Côte Amalfitaine incarnent deux expressions radicalement différentes de l’harmonie entre l’homme, l’agriculture et la mer.
Ghar El Melh, dans le golfe de Bizerte, déploie un paysage horizontal et serein, où un système ingénieux de canaux, irrigue des jardins maraîchers à fleur d’eau dans les lagunes, créant une symbiose discrète entre la terre fertile et les eaux saumâtres. À l’inverse, la Côte Amalfitaine est un spectacle vertical et dramatique, où l’agriculture est une conquête héroïque, des vignes et des citronnerais sont juchés sur d’audacieuses terrasses accrochées à la falaise, plongeant abruptement dans les eaux bleues de la mer Tyrrhénienne.
À la Côte Amalfitaine, la commercialisation des produits agricoles emblématiques comme le citron « Sfusato Amalfitano » et le vin « Costa d’Amalfi » repose sur un modèle économique ingénieux, alliant circuits directs et valorisation par la transformation.
Une grande partie de la production est écoulée localement, profitant de la forte affluence touristique, les citronnerais elles-mêmes, comme celles de la « Valle delle Ferriere » ou situées autour de communes telles que Cetara ou Minori, vendent souvent directement leurs citrons et leurs dérivés (limoncello, confitures) aux visiteurs.
Selon les observations de l’Osservatorio del Paesaggio della Costiera Amalfitana, cette vente directe à la ferme ou dans de petites boutiques artisanales est cruciale pour l’économie familiale.
Parallèlement, les raisins des vignes en terrasse, souvent cultivés par de petits producteurs, sont majoritairement vinifiés par des caves coopératives ou des domaines privés. Les vins AOP « Costa d’Amalfi » sont ensuite distribués dans les restaurants et hôtels prestigieux de la côte, ainsi que dans les magasins spécialisés, comme le documente le Consorzio di Tutura del Limone I.G.P. di Sorrento e della Costa d’Amalfi.
Ainsi, du champ à la table, le circuit de vente est fortement ancré dans le territoire, transformant le paysage agricole lui-même en une vitrine commerciale à ciel ouvert.
Si l’un est un paysage de douce confluence, presque confidentiel, l’autre est un chef-d’œuvre théâtral et sublime, mais tous deux témoignent avec une égale puissance de l’ingéniosité des civilisations méditerranéennes à façonner des paysages uniques là où la montagne ou la lagune rencontrent la mer.
Ce reportage de L’Echo Tunisien s’inscrit dans le Projet d’Appui aux Médias Tunisiens (PAMT2), visant à former les journalistes tunisiens au journalisme environnemental pour mieux appréhender les défis climatiques en Tunisie.
Le programme vise à renforcer les capacités des journalistes pour couvrir les enjeux environnementaux avec une rigueur scientifique, en associant l’expertise technique au journalisme de données.
Mené en partenariat avec le Projet d’Appui à la Gouvernance Environnementale et Climatique pour la Transition Écologique (PAGECTE), mis en œuvre par la GIZ avec le Ministère de l’Environnement, ce projet consolide la gouvernance environnementale et climatique nationale. Cofinancé par l’Union européenne et ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du développement (BMZ, il s’inscrit dans le programme « Tunisie Verte et Durable » de l’UE, visant à accompagner la transition écologique du pays.


