Gabès… Sous le nuage toxique !
« Tchernobyl de la Tunisie » l’envers du décor d’un crime écologique
À l’aube, une inquiétante nuée grise envahit le ciel des quartiers de Ghanouche et de Sidi Abdessalem cette plage que la population locale appelle avec amertume «Shatt al-Salam », la « Plage de la Paix ». L’âcre odeur de soufre se mêle désormais au sel marin, tandis qu’un épais manteau de fumée blanche, craché sans relâche par les cheminées du complexe chimique, étouffe littéralement la ville. Dans cette région jadis célébrée comme « l’oasis de la Méditerranée », les habitants apprennent à respirer la peur avant l’air. Aujourd’hui, Gabès ne se bat plus pour le développement, mais pour sa survie même.
L’asphyxie programmée : un peuple au front des pollutions
Conçu dans les années 1970 comme un symbole de modernité et de prospérité, le Groupe Chimique Tunisien (GCT) incarne aujourd’hui le visage d’une industrialisation mortifère. Ce qui devait être un fleuron économique est devenu une épée de Damoclès suspendue au-dessus de dizaines de milliers de vies, une terreur environnementale quotidienne, un foyer de contamination généralisée. La situation est d’autant plus critique que les installations industrielles côtoient les habitations à une distance indécente quelques centaines de mètres seulement, créant une promiscuité toxique où chaque bouffée d’air devient une roulette russe sanitaire. Les riverains vivent littéralement dans l’ombre des cheminées, transformant leur existence en un combat permanent pour le simple droit de respirer.
Ecoles asphyxiées: quand les gaz toxiques s’invitent en classe !
Le mois de septembre 2025 restera dans les mémoires comme celui où l’impensable est devenu réalité à Gabès. Une succession de fuites de gaz toxiques, d’une ampleur inédite, a transformé les salles de classe en pièges mortels.
Selon le collectif « Stop Pollution », pas moins de cinq incidents majeurs ont émaillé les mois de septembre et octobre, les 9, 10, 16, 27 septembre et 10 octobre provoquant des scènes de chaos dans les établissements scolaires. Des dizaines d’écoliers, victimes de malaises et de crises d’asphyxie, se sont effondrés en pleine classe, contraignant les autorités à fermer temporairement les écoles.
Face à cette situation dramatique, la colère citoyenne a pris multiple visages, certains ont organisé des rassemblements silencieux, brandissant des masques à gaz comme symboles de leur droit bafoué à respirer. D’autres ont opté pour l’occupation pacifique du site industriel, tandis que des mères de famille, muettes de désespoir, ont manifesté devant les grilles des écoles avec les dessins de leurs enfants hospitalisés.
L’activiste environnemental, Firas Nacif dresse un chiffre accablant : plus de 150 cas d’asphyxie recensés en quelques semaines seulement. Parmi les victimes, des enfants atteints de paralysie partielle après une intoxication aiguë, contraints à un transfert sanitaire vers la capitale. Une évacuation rendue nécessaire par la vétusté criante et le sous-équipement de l’hôpital régional de Gabès, incapable de faire face à la crise.
Dans l’indifférence générale, les familles des jeunes victimes se sont transformées en convoyeurs sanitaires improvisés, assumant seuls le coût financier et psychologique de ces transferts urgents vers Tunis. Le silence assourdissant des institutions résonne comme un abandon de plus.
La mer meurtrie : Quand le phosphogypse engloutit la vie
La pollution à Gabès ne se limite pas à l’atmosphère : elle gagne la mer, qui fut jadis source de vie et de pêche.
Chaque jour, le complexe rejette des milliers de tonnes de phosphogypse dans le golfe de Gabès.
Selon le Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux (FTDES), cette substance, chargée en métaux lourds comme le cadmium et l’uranium, a transformé les eaux en zone biologiquement morte.
Promesses non tenues, vies en suspens
Depuis le 29 juin 2017, une décision gouvernementale sommeil dans les tiroirs de l’administration, démantèlement des unités nocives, arrêt des rejets toxiques. Le document, ambitieux sur le papier, est devenu le symbole d’une parole étatique devenue lettre morte.
La société civile, ou la voix des sans-voix
La campagne « Stop Pollution » a engagé des prélèvements d’air et d’eau pour analyses et déposé des plaintes afin qu’une enquête soit ouverte sur les cas d’asphyxie et les atteintes aux enfants.
Certains ingénieurs du complexe reconnaissent que la maintenance est très limitée et que le transfert des unités exigerait un plan national ambitieux. Mais les habitants rétorquent, amers :
« Tout plan qui ne nous sauve pas maintenant ne fait que repousser l’échéance de la mort. »
Le plan de la dernière chance : les solutions concrètes
Pour les experts, la survie de Gabès exige une volonté politique tangible, dépassant le stade des vœux pieux. Leur feuille de route prioritaire est sans appel :
- Ouvrir sans délai une enquête judiciaire sur les fuites de gaz et sanctionner les responsables ;
- Appliquer immédiatement la décision de 2017 enterrée depuis sept ans ;
- Dépolluer le golfe et restaurer l’écosystème marin ;
- Développer massivement les énergies alternatives ;
- Associer durablement la société civile aux contrôles environnementaux.
Gabès étouffe, Qui lui rendra le souffle ?
« Quand retrouverons-nous notre droit à respirer ? Quand la mer et l’oasis retrouveront-elles leurs couleurs ? »