Dominique de Villepin : Changer la nature des relations euro-maghrébines, priorité absolue dans un monde fragmenté
Les 39es Journées de l’Entreprise (JES 2025), organisées par l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) à Sousse du 11 au 13 décembre, ont démarré en fanfare ce vendredi matin avec une intervention magistrale de Dominique de Villepin. L’ancien Premier ministre français, invité d’honneur du panel d’inauguration, a passé en revue les soubresauts d’un ordre mondial en pleine recomposition, invitant la Tunisie à se positionner comme pivot stratégique entre Europe, Maghreb et Afrique.
Un monde en « destruction créatrice » : fin de l’hégémonie occidentale
Devant un parterre de chefs d’entreprise, responsables institutionnels et jeunes entrepreneurs, de Villepin a décrit une mutation historique sans précédent depuis des siècles, touchant économie, politique, institutions et sociétés. « Nous entrons dans une phase de destruction créatrice où toutes les pièces du puzzle bougent ensemble », a-t-il lancé, soulignant le recul inexorable de la domination occidentale. La Chine, après des siècles d’effacement, reprend une place centrale, dominant non plus seulement les industries low-cost mais les technologies de pointe : batteries électriques, intelligence artificielle, communications optiques et calcul quantique.
Cette bascule s’accompagne d’une remise en cause profonde de la mondialisation libérale. Guerres commerciales, accords bilatéraux déséquilibrés et logiques impériales d’accaparement des ressources fragilisent le système. Le risque d’une stagflation mondiale plane, dopée par les hausses de droits de douane et l’inflation, tandis qu’une bulle spéculative menace autour de l’IA, avec des investissements déconnectés des réalités. Sans prédire l’apocalypse, de Villepin juge « pensable » un choc sur le dollar, miné par les déficits américains et la perte de confiance internationale.





Multipolarité et opportunités régionales
Face à ce chaos, un nouvel ordre multipolaire se dessine, centré sur des pôles d’influence, corridors d’infrastructures et un boom du commerce intrarégional – particulièrement en Afrique, où l’intégration reste sous-exploitée. L’Europe, coincée entre la pression chinoise, la suprématie américaine en numérique et la décarbonation forcée, devra opter pour un protectionnisme ciblé : industriel, environnemental et financier, pour gommer ses dépendances.
La Tunisie, hub euro-africain : appel au partenariat de voisinage
C’est ici que de Villepin a réservé sa déclaration la plus percutante, directement adressée à L’Echo Tunisien: « Ces Journées de l’Entreprise de l’IACE ont tracé une perspective claire : changer la nature des relations entre pays européens et Maghreb, à commencer par la Tunisie. Il faut passer d’une logique nord-sud à une politique de voisinage. Dans une mondialisation fragmentée, la priorité va à ceux qui nous entourent, et le voisinage méditerranéen doit être notre premier objectif », a-t-il déclaré. Il vante les « atouts extrêmement nombreux » du commerce interrégional, à commencer par « la qualité des hommes, des femmes, des jeunes qui ont un savoir-faire, une technicité essentielle pour l’économie de demain ». Mobiliser ces compétences s’impose à l’ère de l’IA, tout en gardant les relations humaines et culturelles comme « boussole » pour préserver « l’humanité trop souvent oubliée par les algorithmes ».
Pour la Tunisie, cela signifie devenir une plateforme d’interconnexion euro-africaine via le nearshoring, les services financiers et l’innovation numérique. De Villepin met en avant le potentiel de la diaspora comme réservoir entrepreneurial et plaide pour un « Erasmus méditerranéen » afin de lier durablement les jeunesses des deux rives. Le Maghreb, avec sa faible intégration actuelle, représente un « handicap et une immense opportunité » pour rayonner auprès de l’UE.
Alors que l’événement se poursuit avec des panels sur l’administration agile et les réformes douanières, les mots de de Villepin sonnent comme un appel à l’action pour les entreprises tunisiennes, prêtes à saisir ces opportunités géopolitiques. Un message d’optimisme réaliste pour une Tunisie au carrefour des grandes mutations mondiales.

