15 Octobre : Histoire d’une victoire sanglante mais décisive
Aujourd’hui, la Tunisie célèbre avec fierté le 62e anniversaire de la Fête de l’Évacuation. Cette date historique, le 15 octobre 1963, marque le départ définitif des dernières troupes françaises du port de Bizerte, venant clore un douloureux chapitre post-colonial et sceller la souveraineté nationale.
Retour sur une crise fondatrice
L’histoire de cette libération plonge ses racines dans les tensions de l’été 1961. Près de cinq ans après l’indépendance du pays, acquise le 20 mars 1956, la base militaire française de Sidi Ahmed à Bizerte demeurait une enclave étrangère sur le sol tunisien. La pression montait.
Le 19 juillet 1961, face au mouvement de troupes tunisiennes et de citoyens convergeant vers la base, Paris opta pour la fermeté. Sous le commandement du général de Gaulle, l’ordre était de « frapper vite et fort ». Le rapport de force, à première vue, était disproportionné.
D’un côté, une jeune armée tunisienne, composée de bataillons d’infanterie, de quelques pièces d’artillerie et soutenue par des milliers de volontaires, souvent faiblement armés. De l’autre, une force militaire française aguerrie : près de 7 700 hommes, appuyés par une trentaine d’avions de combat, une défense aérienne et navale, et des renforts de parachutistes venus d’Algérie.
L’étincelle et l’escalade
Le point de non-retour fut atteint le 19 juillet, lorsque Tunis ordonna d’abattre tout avion violant son espace aérien. Des tirs sur des appareils de reconnaissance français déclenchèrent des représailles immédiates : un bombardement intensif s’abattit sur les positions tunisiennes. Les canons tunisiens ripostèrent en visant les installations de Sidi Ahmed et Kharrouba. Des affrontements éclatèrent au port et à Ferryville (actuelle Menzel Bourguiba).
Le 20 juillet, les hostilités s’intensifièrent. Les Français lancèrent l’opération « Charrue longue ». Des centaines de volontaires tunisiens furent pilonnés. La bataille fit rage, notamment à la gare de Sidi Ahmed et dans la cimetière, où les soldats tunisiens opposèrent une résistance décrite comme héroïque. Le bilan humain fut lourd, coûtant la vie à des centaines de Tunisiens, militaires et civils. En réaction, la Tunisie rompit ses relations diplomatiques avec la France.
La bataille urbaine et la « ville martyre »
Le 21 juillet, les troupes françaises, fortes de 3 600 hommes, donnèrent l’assaut sur Bizerte. Les parachutistes prirent le canal, tandis que les Tunisiens se retranchaient dans la médina pour livrer une intense guérilla urbaine. Des témoignages d’époque font état d’une violence extrême des parachutistes français contre une population largement désarmée. Au petit matin, les rues de Bizerte étaient jonchées de cadavres, transformant la cité en « ville martyre ».
Malgré l’écrasante supériorité militaire française, la résistance tunisienne, accrochée aux murs de la médina, surprit l’adversaire par sa ténacité. Les estimations des pertes, bien qu’imparfaites, parlent d’elles-mêmes : environ 639 morts et 1 000 blessés côté tunisien, contre 27 côté français.
La voie diplomatique et la victoire
Devant l’ampleur de la crise, le Conseil de sécurité de l’ONU ordonna un cessez-le-feu le 23 juillet, peu respecté par les forces françaises. La Tunisie, soutenue par les pays afro-asiatiques, porta son combat sur la scène internationale et obtint gain de cause à l’ONU le 26 août 1961.
Fort de ce soutien et de l’union sacrée autour du leader Habib Bourguiba, le gouvernement tunisien refusa tout dialogue bilatéral tant que la question de Bizerte ne serait pas réglée. Après des négociations à Rome et Paris, la France finit par accepter le principe de l’évacuation.
Le 15 octobre 1963, l’amiral Vivier quitta la rade de Bizerte, escorté par les patrouilleurs tunisiens « Destour » et « Jamhouriya ». La fête éclata, célébrant la victoire d’un peuple et le départ du dernier symbole du colonialisme. Soixante-deux ans plus tard, Bizerte et toute la Tunisie se souviennent de ce jour où la souveraineté nationale devint entière et indivisible.