Tunisie : la justice entre dans sa troisième année de turbulences institutionnelles
La justice tunisienne entre, pour la troisième année consécutive, dans un cycle judiciaire marqué par une absence criante de garanties institutionnelles assurant son indépendance et sa neutralité. C’est le constat sévère dressé par l’Association des magistrats tunisiens (AMT) dans une déclaration récente, pointant du doigt les prérogatives étendues du ministère de la Justice.
Selon l’AMT, le ministère exercerait désormais l’ensemble des compétences normalement dévolues au Conseil supérieur provisoire de la magistrature, dont les activités seraient « gelées ». Cette concentration des pouvoirs au sein de l’exécutif prive, selon les magistrats, la justice de son bouclier institutionnel contre toute ingérence.
Des postes-clés vacants, une justice paralysée
L’association relève avec inquiétude le blocage des nominations à plusieurs postes stratégiques, pourtant essentiels au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire. La présidence de la Cour de cassation, le parquet général près cette même cour et la tête du Tribunal immobilier sont toujours vacants.
L’AMT estime que ces vacances prolongées, « malgré l’importance capitale de ces fonctions dans l’ordonnancement judiciaire », ont des conséquences directes et néfastes. Elles auraient ainsi pesé sur la reprise des activités dans de nombreux tribunaux et, surtout, porté atteinte aux droits des justiciables en contribuant à l’allongement des délais de traitement des dossiers.
Gestion des carrières : la méthode des « notes de service » dans le collimateur
Le mode de gestion des carrières et des affectations des magistrats est un autre sujet de vives critiques. L’AMT dénonce le recours « intensif » depuis deux ans à des notes de service ministérielles, échappant à la validation du Conseil supérieur de la magistrature.
Cette pratique est qualifiée d’illégale par les magistrats, qui la jugent contraire à l’article 121 de la Constitution de 2022 – garantissant le principe de non-mutation sans le consentement du magistrat – et « dépourvue de toute base légale en vigueur ».
Opacité et absence de vision
Cette gestion par notes de service se ferait dans une opacité totale : pas de publication des postes vacants, absence de critères clairs et objectifs pour les mutations, les promotions ou l’attribution des responsabilités, et aucune ouverture à la concurrence.
Tenant le ministère de la Justice pour « responsable de l’état du service public de la justice » ces deux dernières années, l’AMT déplore « l’absence de vision réformatrice » pour moderniser les tribunaux. Elle souligne enfin de « fortes disparités » dans la répartition des effectifs entre les différentes juridictions, effectuée « sans considération pour les besoins réels et les volumes d’activité », creusant les inégalités d’accès à la justice sur le territoire.